Le Premier ministre indien entame aujourd’hui lundi une visite de deux jours en Russie, la première depuis que Moscou a lancé son invasion de l’Ukraine, une guerre qui a compliqué la relation entre les deux anciens partenaires et a poussé la Russie à se rapprocher de la Chine, concurrente de l’Inde.

La visite du Premier ministre indien Narendra Modi comprendra une réunion avec le président russe Vladimir Poutine, qu’il a vu pour la dernière fois en Russie en 2019, au port de Vladivostok à l’extrême est du pays. Les deux dirigeants se sont également rencontrés en personne en septembre 2022 en Ouzbékistan, lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai.

La Russie entretient des relations solides avec l’Inde depuis la guerre froide, et l’importance de New Delhi en tant que partenaire commercial majeur pour Moscou a augmenté depuis que le Kremlin a déployé des troupes en Ukraine en février 2022. La Chine et l’Inde sont devenues les principaux acheteurs de pétrole russe après les sanctions imposées par les États-Unis et leurs alliés, ce qui a conduit à la fermeture de la plupart des marchés occidentaux aux exportations russes.

Sous la direction de Modi, l’Inde a évité de condamner la guerre russe en Ukraine en soulignant la nécessité d’un règlement pacifique.

Cependant, le partenariat entre Moscou et New Delhi est devenu tendu, depuis que la Russie a commencé à développer des relations plus étroites avec la Chine, principal concurrent de l’Inde, en raison des hostilités en Ukraine.

Modi s’est particulièrement tenu à l’écart la semaine dernière lors du dernier sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai au Kazakhstan.

Chittig Pajbai, chercheur principal pour l’Asie du Sud à Chatham House au Royaume-Uni, a déclaré que l’Inde s’éloignait de plus en plus des forums dans lesquels la Russie et la Chine jouent un rôle important.

Il a expliqué : "Cela est évident dans la présidence relativement faible de l’Inde à l’Organisation de coopération de Shanghai l’année dernière et maintenant dans la décision de Modi de ne pas assister au sommet de cette année".

Le conflit de juin 2020 le long de la frontière contestée entre la Chine et l’Inde a radicalement changé leur relation déjà délicate, les forces opposées s’étant battues à coups de pierres, de bâtons et de poings. Au moins 20 soldats indiens et quatre soldats chinois ont été tués. Les tensions ont persisté depuis lors malgré les pourparlers.

Ces tensions ont également influencé la façon dont New Delhi perçoit Moscou.

Le Dr Bala Venkatesh Verma, ancien ambassadeur indien en Russie, a déclaré à l’Associated Press : « Les relations de la Russie avec la Chine sont une source d’inquiétude pour l’Inde dans le contexte de l’agressivité croissante de la Chine dans la région ».

Mais Modi cherchera également à poursuivre des relations étroites avec la Russie, un partenaire commercial important et un fournisseur principal de défense pour l’Inde.

Depuis que les sanctions occidentales ont interdit les exportations de pétrole russe après le début de la guerre en Ukraine, l’Inde est devenue un acheteur majeur de pétrole russe. Elle obtient maintenant plus de 40 % de ses importations pétrolières de la Russie, selon des analystes.

L’Inde dépend également fortement de la Russie pour ses approvisionnements militaires, mais avec la perturbation de la chaîne d’approvisionnement russe due aux combats en Ukraine, l’Inde a diversifié ses achats de défense, achetant davantage aux États-Unis, en Israël, en France et en Italie.

Pajbai a déclaré : "Il est clair que la coopération en matière de défense restera un domaine prioritaire", ajoutant que 60 % des équipements et systèmes militaires indiens "sont toujours d’origine russe".

Il a ajouté : "Nous avons constaté certains retards dans la livraison des pièces de rechange... après l’invasion russe de l’Ukraine". Et "je pense qu’il est prévu que les deux pays concluent un accord logistique militaire, ce qui ouvrira la voie à davantage d’échanges en matière de défense".

L’Inde a adopté une position neutre, ni condamnant ni approuvant la guerre lancée par la Russie en Ukraine, et appelant à des négociations pour mettre fin aux combats. Cela a renforcé à son tour les efforts de Poutine pour contrer ce qu’il appelle la domination occidentale dans les affaires mondiales.

Confronté à un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour des actes liés à la guerre en Ukraine, les déplacements à l’étranger de Poutine ont été relativement rares ces dernières années, de sorte que la visite de Modi pourrait aider le dirigeant russe à renforcer son image.

Teresa Fallon, analyste au Centre d’études Russie-Europe-Asie, a déclaré : "Nous voyons Poutine dans un voyage nostalgique dans le passé, vous savez, il est allé au Vietnam, il est allé en Corée du Nord", et de mon point de vue, il essaie de prouver qu’il n’est pas un satellite de la Chine, qu’il a des options, et que la Russie reste une grande puissance".

Alexander Gabuev, président du Carnegie Moscow Center Eurasia, a déclaré que les interactions de Poutine sur la scène mondiale montrent qu’il est "loin d’être isolé" et que la Russie n’est pas un pays à sous-estimer.

Le développement du commerce sera mis en avant lors des entretiens, en particulier les intentions de développer un corridor maritime entre le principal port indien de Chennai et Vladivostok, la porte d’entrée de l’Extrême-Orient russe.

Le ministre indien des Affaires étrangères, Vinay Mohan Kwatra, a déclaré aux journalistes vendredi que le commerce entre l’Inde et la Russie avait connu une forte augmentation, atteignant près de 65 milliards de dollars américains pour l’exercice 2023-2024, grâce à une forte coopération dans le domaine de l’énergie.

Kwatra a indiqué que les importations en provenance de Russie s’élevaient à 60 milliards de dollars et les exportations indiennes à 4 milliards de dollars pendant l’exercice 2023-2024. L’exercice fiscal en Inde va d’avril à mars.

Il a déclaré que l’Inde cherchait à corriger le déséquilibre commercial avec la Russie en augmentant ses exportations. Les principales exportations indiennes vers la Russie comprennent des médicaments et produits pharmaceutiques, des équipements de communication, du fer et de l’acier, ainsi que des produits et machines marins.

Les principales importations de la Russie comprennent le pétrole brut, les produits pétroliers, le charbon, le coke, les perles, les pierres précieuses et semi-précieuses, les engrais, les huiles végétales, l’or et l’argent.